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J’étais jusqu’à il y a quelques jours au Pérou, toujours dans la région de Cusco. J’ai eu la chance, l’honneur, le privilège de guider un groupe un peu spécial : sur 12 participants qui se connaissaient tous, 4 sont atteints de l’ataxie de Freidreich et 3 de ceux-ci sont en fauteuil roulant. On peut dire que cette maladie est vraiment moche (mais en existe-t-il vraiment des jolies?). Le principe est simple: maladie neurodégénérative génétique récessive, elle se déclare en début d’adolescence par la perte de la coordination, puisque les nerfs sont les premiers à se dégrader. Et, réfléchissez-bien, chaque mouvement, pas et repas, est un ensemble de contractions musculaires qu’il faut coordonner. Ça se traduit donc par la perte de l’équilibre, des difficultés motrices, des problèmes d’élocution, de déglutition, parfois de surdité ou de vue, c’est selon… Avant la majorité, le jeune circule en fauteuil roulant, et la perte d’autonomie continue en se dégradant. (Plus d’infos : lacaf.org)
Et puis, il y a environ 1 an et demi, j’ai rencontré au travail Samuel, 22 ans, atteint de cette ataxie, qui rêvait de faire un trek au Machu Picchu. Il en rêvait tellement fort, que quand on en a parlé, ses yeux ont brillé incroyablement, et que je me suis dit que ce serait vraiment chouette d’arriver à réaliser ce projet. Un trek à roulettes!
Samuel, sa mère et ses futurs compagnons de voyage ont cherché leurs destriers, des fauteuils spécialement adaptés à la montagne. Un français appelé Joël en développe depuis un moment déjà, un exemplaire se trouvait au Québec, tandis que 2 modèles proches venaient de Vancouver. Un siège juché sur une roue unique, tiré et poussé par des bras avant et arrière, donc un minimum de 2 personnes pour mouvoir la joëlette. Un frein -très pratique pour les descentes- complète l’attirail.
Vico, mon bras droit à Cusco, le chef de notre équipe sur place, s’occupait de coordonner les équipes locales : les arrieros, qui habituellement s’occupent de charger/décharger/conduire les mules, monter le campement etc., les cuisiniers et assistants qui font des miracles sur un tabouret et 2 réchauds, et pour ce groupe exceptionnellement 1 coordinateur général qui a beaucoup coordonné ses bras et ses jambes à la montée comme à la descente (précieux muscles qui ont beaucoup travaillé), 1 cameraman qui a lui aussi fait sa grosse part d’efforts, 1 assistante guide.
À nous deux, on avait essayé de penser à tout, avec l’aide précieuse de ceux qui connaissent le mieux leur mode de fonctionnement, les voyageurs. Parce que même si je me doutais bien qu’il fallait un siège pour s’asseoir pour nos toilettes de camping ou une chaise en plastique pour les douches à l’hôtel (et pas de baignoire svp pour pouvoir faire entrer les-dites chaises en plastique), même si nous avions choisi l’hôtel en fonction de l’ascenseur, de la largeur des portes des salles de bain dans les chambres, du type de trottoir pour rejoindre le centre-ville, même si nous avions un paquet de 250 pailles pour les thés du matins et soupes du soir, je n’aurais pas pu prévoir que sur des pavés, les pieds sautent des cale-pieds des fauteuils roulants et que des sangles ou scratchs sont nécessaires pour les tenir. Rien ne remplace l’expérience. Et puis, il ne faudrait pas oublier que l’accessibilité au Pérou n’est pas chose commune, et même pour un hôtel adapté, on retrouve toujours deux ou trois marches taquines par ici, un passage trop étroit par là. C’était ça aussi le défi de ce voyage : notre adaptabilité à nous, les participants, les accompagnants, les encadrants et les « travaillants ».
Bien sûr, le paysage était magnifique. Nous avons été gâtés par la météo, soleil omniprésent, quelques nuages pour de jolis contrastes sur les photos, les étoiles dans la fraîcheur du soir… forte fraîcheur! Les montagnes protectrices, les quelques lagunes qui ponctuent le parcours, les sommets enneigés qui nous surveillaient, les villages que l’on traversait. Et pas un touriste, à part la matinée aux bains thermaux de Lares, mais nous étions trop occupés à nous baigner sans noyer personne pour y prêter attention… les montagnes juste pour nous et pour ses habitants, les lamas et alpagas toujours snobs et cotonneux, des moutons bêlants, les chiens qui attendent les miettes, les enfants curieux, les villageoises qui viennent proposer leur artisanat. Le Machu Picchu qui se cachait derrière la brume matinale à notre arrivée, puis les nuages qui se sont dissipés petit à petit, alors que les premiers rayons de soleil dépassaient de derrières les montagnes – jamais je n’avais vu le Machu Picchu aussi magique, à croire que les dieux et Apus nous faisaient un clin d’œil bienveillant.
Mais la vraie beauté de ce voyage a été humaine. Je parlais de l’adaptabilité de chacun. Il faut ajouter la solidarité. Tous pour un, un pour tous. De Chantal, Stéphanie et Bianca, qui sont devenues les mamans de tous les jeunes, à Dennis le cameraman, qui lâchait son appareil pour courir aider les arrieros dans un passage délicat. D’Alain qui a une si belle relation avec son fils Antoine, à Raul cuisinier émérite qui a poussé fort fort fort, soulevé quand il le fallait, pour que le même Antoine passe ce col, puis le suivant. De Jean-Pierre et Jean-François, qui étaient les muscles, les porteurs québécois de la vie quotidienne, à tous les arrieros qui ne pesaient pas la moitié de nos costauds mais qui ont tracté, poussé, tracté, glissé, porté, couru même, tracté toujours, poussé encore dans les montées, stabilisé dans les descentes puis dressé les tentes, aidé à la cuisine, mis le couvert, lavé la vaisselle, vidé les toilettes, empaqueté tout ce qui avait été dépaqueté la veille, chargé les mules, et recommencer à pousser, tirer, porter, forcer…
Laissez-moi vous parler aussi de la connivence de Marie-Ève et Emmanuelle, avec leur grande patience à toutes les deux et leur abnégation, de l’une pour aider l’autre, de l’autre pour faciliter la tâche à la première et à toute l’équipe. Des coordinateurs qui ont fait leur part d’efforts physiques et ont été aux petits soins avec tout le monde, comme le fort Eugenio, dit Le beau Lobo, qui a même porté sur son dos lors des marches du Machu Picchu (les Incas maîtrisaient l’art des escaliers mais pas des rampes pour chaise roulante) ou Mariela, qui m’arrive sous le menton mais a mis toute son énergie et son cœur pour ce groupe.. De la force tranquille de Cassandra, la petite du groupe, 12 ans et le pas léger malgré l’altitude, et toujours un regard pour son frère. Des dents serrées d’Antoine, Samuel, Raphaël et Emmanuelle, accrochés dans leurs joëlettes, qui parfois se balançaient au-dessus du vide, les arrieros pédalant dans les éboulis de petites roches, peinant à rétablir l’équilibre, du courage de ces jeunes qui remettaient littéralement leur vie dans les mains des Péruviens. De la compréhension de Raphaël et Samuel, qui ont alterné entre la mule, la joëlette et la marche pour Raph, selon la nature du terrain, la fatigue de la mule, pour que tout se passe au mieux. De la respectabilité et de l’honneur de Vico, qui a été la clef du succès de ce défi, car si son équipe lui est si dévouée (et donc si généreuse avec nous), c’est parce qu’il les respecte grandement, qu’il leur offre des conditions de travail humaines, qu’il a de la bienveillance. Vico, c’est le type qui pourrait se mettre à la politique parce qu’il veut faire évoluer les choses, parce qu’il croit aux droits des humains, mais qui en ressort à peine un orteil trempé dedans, épouvanté par la corruption qui y règne, déçu de voir que les mesures sont prises en fonction de ce qu’elles rapporteraient à ceux qui les prennent et non pour la population. Vico, c’est celui qui se met à pleurer en premier (ou presque) quand on fait les présentations et que la maman de Samuel explique ce que ce projet représente pour elle. Vico, c’est aussi des « on arrive dans 15 minutes » et 1h30 plus tard, on arrive toujours dans 15 minutes, on est péruvien ou on ne l’est pas, mais qui aura prévu les futurs départs en trek de 5 autres groupes pendant qu’on sera dans les montagnes, perdu 5 kilos à transpirer pendant cette randonnée, aura rendu possible ce projet fou, alors 15 minutes de plus ou de moins…
Voilà, on était deux belles équipes, les Québécois et les Péruviens, Vico, Mariella et moi le lien entre les deux, et ce qu’on a réussi à faire, c’est une seule équipe dans laquelle tout le monde travaille fort, main dans la main, pour qu’ensemble, on fasse de ce rêve, de ce projet fou, une réalité très humaine, un exemple pour ceux qui n’osent pas. Rien que la visite du Machu Picchu le prouve : un visiteur péruvien s’est approché de nous et nous a demandé la permission de nous photographier, pour prouver à sa fille à mobilité réduite, qu’elle peut y aller. Voilà ce qu’on peut en retenir, une citation rappelée par Vico, un peu clichée mais tellement adaptée : « vis tes rêves au lieu de rêver ta vie ».
On peut aussi dire deux mots de la journée type. Habituellement, pour un départ à 8h le matin, on réveille les groupes vers 6h30, au lever du soleil. Nous prévoyions de secouer les tentes à 5h30 pour respecter le même horaire. Et certains réglaient leur alarme encore plus tôt car ils devaient réveiller, sortir du sac de couchage, habiller leur compagnon de tente ou celui de la tente voisine, faire la même chose pour eux, sortir et installer sur sa chaise roulante le compagnon, aller aux toilettes, l’y installer, le relever, le rhabiller, le couvrir et le faire patienter au milieu du campement ou sous la tente-repas. Puis aller soi-même au petit coin, rouler les tapis de sol, ranger les sacs de couchage, replier les affaires, préparer les sacs pour la journée et ceux qui seront transportés sur les mules, pour deux, aller laver les 4 mains, s’installer à table, couper la nourriture, aider à manger, déjeuner, gérer les débordements, envols de tasse malencontreux et autres étouffages, accompagner de nouveau aux toilettes, remplir les gourdes, finir les sacs, laver les dents des deux, tartiner l’autre de crème solaire, transposer le jeune de son fauteuil à 4 roues à la joëlette à 1 roue, se préparer tout en étant disponible au cas où. Ils ont abattu un travail formidable et nos jeunes ont été aidants, patients, arrangeants. Puis les héros péruviens prenaient le relais tandis que la troupe se mettait en marche. Et au final ce sont les joëlettes qui nous attendaient et non l’inverse!
Ce chemin comportait deux cols en 5 jours, le premier à 4600m, le deuxième à presque 4400m. Après une particulièrement grosse journée, nous avons accordé un repos des troupes le 3ème jour : 1h30 de marche pour descendre aux bains thermaux, l’eau chaude, la douche, la chaleur du soleil, puis la remontée en embarquant dans la benne d’un camion les gens, les fauteuils, les joëlettes, les tabourets, les œufs et des chansons, pour rejoindre le village de Huacahuasi, où nous attendaient les mules qui avaient pris un peu d’avance (pas de baignade pour les mules) et où flambait déjà un grand feu qui chauffait les pierres pour la Pachamanca, le repas traditionnel : un ou deux (ou trois ici!) moutons qui cuisent sous la terre, dans des pierres brûlantes et des braises. Et toujours, après souper, les étoiles et la voie lactée. Au cœur de celle-ci, une traînée noire qui, parait-il, cartographie la cordillère et les sites incas. Il faudra un jour que je vous parle de la théorie des distances entre les cités incas… mais c’est une autre histoire.
En images : ici.
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Merci Julie de comprendre notre réalité! Et surtout merci de ne pas t’arrêter à ce que certains appellent « obstacles ». Et oui, « vis tes rêves au lieu de rêver ta vie! »
C’est bien de lire ce texte: cela nous fait réaliser tout le travail des bénévoles et la patience des jeunes. Je me demandais comment c’était fait cette ascension, maintenant j’ai une meilleure idée. En passant, le texte est écrit dans un français impeccable, bravo!
Que linda pluma tienes Julie. Definitivamente leyendo cada párrafo de tu blog he revivido la experiencia de haber estado en ese viaje y de haber conocido a personas increíbles.
Gracias por mencionarme.
Je remercie toute l’équipe de Karavaniers et celle de Vico au Pérou. Vous nous avez permis de réaliser quelque chose qui semblait invraisemblable au départ. Ce sont des images et des émotions qui vont demeurer dans ma tête et mon coeur toute ma vie.
Bon succès à vos futures entreprises.
Voilà aussi pourquoi nous faisons ce métier. Voir le monde dans les yeux des autres. Et les yeux de ce voyage étaient particuliers. Merci à Julie, Vico et toute l’équipe locale. Merci aux participants de nous avoir fait confiance.
Richard Rémy, président Karavaniers.