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Où l’on apprend la lutte mongole pour combattre les insomnies dans un hôtel de passe (joli programme !)
Certains se rappelleront peut-être de mes anciens tracas mongols et de cette impitoyable péronnelle du bureau des douanes dont j’avais relaté les plaisirs sardoniques, à savoir une propension particulière à laisser mijoter les quelques-uns venus maladroitement lui rappeler qu’elle n’était pas tenue de lire exclusivement les articles pointus du Grand Potin des Steppes ni à s’évertuer ensuite à refuser avec une mauvaise foi qui mettait la mienne au rang de peccadilles le bénéfice de croire qu’il était possible d’écrire le chiffre 7 sur un visa avec ou sans tiret horizontal (ce que l’ambassade mongole de Washington lui répétait pourtant sans trop comprendre l’hourvari) et qu’on pouvait, dès lors, s’inquiéter d’un séjour fortement raccourci selon que cette ligne oubliée indiquât 75 ou 15 jours ! Tout ça pour dire qu’à l’époque, j’en avais soupé d’Ulaan Baator et de ces longs corridors d’officines. Et que j’ai mieux aimé, par la suite, courir la campagne. Dans l’histoire, j’en oubliais pourtant que j’avais d’abord voulu raconter certains petits plaisirs mongols.
Par exemple que les habitants des steppes sont les plus gentiment bourrus du monde et les moins sensibles aux vertus du végétarisme. Cet apprentissage surréaliste, j’allais en faire les frais deux jours de suite. En commençant par l’hôtel de la capitale. Il s’agissait d’un bloc mollement communiste, assez loin du centre, à côté d’une palestre de grande dimension. Au moment d’y poser mon sac, une compétition de faible envergure n’attirait pas grand monde sinon les athlètes eux-mêmes, d’ailleurs tous logé à la même enseigne que moi, c’est-à-dire au dernier étage, à la différence toutefois qu’ils se servaient aussi du corridor afin d’improviser quelques pas de deux lourdement réussis en prévision des combats du lendemain. La première nuit, je ne dormais pas très fort tant nos hommes se gavaient de vodka et s’échangeaient depuis le corridor d’assez résonnantes claques, mais j’étais pourtant sur le point de m’assoupir, vaincu tout autant par le décalage horaire, les imprécations tarifées de la Gengis Khan douanière et l’alcool vitriolé de nos lutteurs de fond (j’avais eu droit à quelques pintes en grimpant l’escalier) quand je découvris soudainement que ma porte ne fermait pas bien et que les derniers exaltés du couloir venaient de frapper un grand coup en se trompant de chambre. Ils s’excusèrent timidement mais pas avant de m’avoir convaincu d’essayer quelque chose d’un trou mongol pour me rincer la bouche. Le moins embrouillé des deux voulut même que je l’accompagne ensuite au bar du coin de la rue, un établissement vaguement far-west devant lequel attendaient des filles aux bottes hautes et aux chapeaux de plastique, ajoutant fièrement qu’il y aurait là-dedans une vingtaine de joyeux drilles dans son genre pour regarder béatement sur les tables glisser tout un troupeau de bottes et de chapeaux (pour ne rien dire du reste). La suite n’est pas très claire. Je crois cependant me rappeler que je ne pouvais plus me lever.
Le lendemain, je prenais l’avion pour l’ouest du pays. J’étais vert. De cette couleur de salade qu’avait regardé dans son assiette, en se méfiant très fort, le gamin du siège voisin. Ce n’est pas dire beaucoup que d’affirmer que les mongols sont carnivores. Dans la platée qu’on nous servait, il y avait plusieurs saucisses, de beaux morceaux de gras et du gigot rôti. Le gamin s’était pesamment jeté sur les viandes, ce qui n’arrangeait pas vraiment mon teint olivâtre. Sa mère le regardait avec fierté et m’observait avec inquiétude. Puis l’enfant lorgna du côté d’un morceau de laitue qui traînait aussi sur le bord de l’assiette. Je reprenais des couleurs. Sa mère l’arrêta aussitôt : Kubilay, dit-elle, tu vas être malade. Puis elle me pointa du doigt : Regarde l’étranger. Elle avait remarqué que je verdissais dangereusement. Et qu’il ne manquait, dans mon assiette, que cette douteuse nourriture de cheval. Qu’une feuille de chou.
Mongolie – Errance en Altaï et Gobi, niv.3, 28 jours, départ le 28 juin 2008
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