Le sourire du Dalaï-lama

Dites nous ce que vous cherchez

Nous avons plein d'articles en stock !

Le sourire du Dalaï-lama

ladakh_t_c1_0135.jpg

Moines bouddhistes du Ladakh
Crédit photo – Pascal Guillaume

Deux fascinantes rencontres sur les terres tibétaines du nord de l’Inde. Lumière entraperçue à Manali. Nomades en foules devant l’eau de Tso Morari.

Ladakh : Le monde est une rencontre. Parfois elle se passe mal et nous avons des guerres. Parfois c’est tout le contraire. Certaines ont la douceur mouillée des tropiques, un peu lente, courtoise et fragile, à la manière de cet homme adorable du sud Laos qui nous reçoit avec empressement depuis plusieurs années mais qui s’applique à répondre inlassablement à chacune de mes phrases par un majestueux thank you very much qui m’oblige aussitôt à ajouter le mien, en conséquence de quoi nous nous remercions beaucoup de ne pas dire grand-chose.

D’autres rencontres ont la virilité des montagnes et font l’effet salutaire d’une forte brassée dans le dos, comme ce moine loqueteux de l’Everest venu gratter ses puces en notre compagnie et pas peu fier de nous offrir le terrifiant fromage pendu à son cou depuis le temps d’Hillary, verdâtre, vaguement nauséabond, en échange de quelques louches d’un délicieux sirop d’érable que plusieurs d’entre nous (et moi le premier) n’étaient pas trop pressés de perdre pour si peu.

Enfin il y a des rencontres quasiment divines. S’il fallait que ce courrier finisse par ressembler à ces fâcheux à cravate venus cogner aux portes à l’heure des repas (vous ne mangez pas, au moins ?), vous auriez des raisons de manquer d’appétit. Rassurez-vous, je ne mange pas de ce pain-là. Donc je m’explique. Le Ladakh (en Inde du nord) est une randonnée reculée où nous traversons des espaces dantesques sur 17 jours de marche. On voit deux lacs, des kiangs, un col plissé, une gorge et deux monastères. Le second est à Kye comme une pyramide. Cette année-là, un visiteur de marque devait s’y rendre quelque temps après nous. Tous les bouddhistes à bonnet jaune marchaient vers ce point isolé, patiemment, le nez dans quelques vieux volumes à l’écriture émiettée ou sur les billes d’un chapelet dont ils comptaient les tours. Nous étions bien les seuls à nous en éloigner. Nous visions Manali. L’endroit est détestable, rendez-vous tout autant d’indiens fortunés venus s’alléger des roupies qu’on va leur voler que de faux voyageurs abonnés aux veloutes abrutissantes du ganga (et donc hébétés six mois sur le dos des montagnes après s’être assoupis six mois sur la plage à Goa). Autant dire que l’aventure était terminée. Or voilà qu’une voiture traverse lentement l’avenue et qu’un sourire comme ce n’est pas permis s’amuse à jeter de la lumière autour de nous (vous voyez le genre). Plus tard, lorsque nous nous raconterons la furtive rencontre, chacun de notre côté, nous aurons tous l’extravagante certitude que le souriant personnage nous avait individuellement dévisagé, l’espace d’un contact, malgré une foule déraisonnable. Nous venions de croiser le Dalaï-lama.

L’année d’avant, nous avions fait encore mieux. C’était au premier monastère. Korzok se trouve à mi-parcours, sur la rive occidentale de Tso Morari. Il s’agit d’un village incongru au milieu d’une région nomadique, né de l’attroupement progressif de fidèles autour d’un temple ancien et campagnard. On fait souvent l’erreur de croire que le Tibet s’autorise une religion unique, une seule allégeance, alors que c’est exactement l’inverse. Qu’il y a des clans, des différences, des différents. Notamment chez les nomades, moins disposés à s’inviter à la dévotion citadine des géloukpa (c’est-à-dire du Dalaï-lama). Pour eux, le bonnet est rouge. Leurs moines ont moins coutume de s’agglutiner en grand nombre, de rester célibataires, voire autrefois de se couper les cheveux. On les appelle les drukpa-kagyupa. Ceux-ci n’en sont pas moins bouddhistes dans la mesure où ils s’organisent aussi sur la lignée d’une fameuse réincarnation dont le personnage actuel, jeune homme d’une trentaine d’année, n’est pas moins adoré que le Dalaï-lama. Il réside pieusement au Sikkim, c’est-à-dire à l’autre bout de l’Inde. Pourtant cette année-là, il s’était installé à Korzok. Les nomades en étaient comme fous. Ils avaient sorti des péraks ouvragées, des habits aux lourdes manches diaprées, des bottes aux semelles d’éteules, des amulettes biscornues. Ils arrivaient par groupes indisciplinés dans la cour du monastère et buvaient comme de l’eau les mots du jeune érudit. L’atmosphère n’était ni lourde ni légère. Elle était différente. Nous nous étions assis à l’arrière et écoutions la dévotion des autres. Au bout d’un moment, la salle s’est presque vidée. Le jeune sage a alors levé les yeux. Il nous a aperçu. Dans un anglais théâtral, il nous a fait venir près de lui. Vous vous rappelez de la lumière de la voiture ? Et bien c’était pareil ! La même facilité, la même douceur, la même compréhension tacite. Disons qu’on s’y attend un peu sur le visage d’un vieil homme que tout le monde connaît. Mais qu’on ne s’y attend guère sur les traits juvéniles d’un jeune inconnu.

Voyage Karavaniers :
Ladakh – Les derniers nomades / Niveau 4 / 28 jours
Prochain départ prévu le 8 septembre.

Pascal

1 Comment

  • Sophie Poirier

    Salut Pascal!! Ce texte est magnifique et je fus parcourue de frissons tout au long de sa lecture! Merci d’écrire de si belle chose.

    Au plaisir de repartir en ta compagnie
    Sophie

    27/07/2007 at 9:03

Comments are closed here.