Les petites hontes du voyageur

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Les petites hontes du voyageur

La litanie des petites hontes aux quatre coins du monde. Le fils indigne africain et la salle de bain tibétaine. Marchandage au Népal et voyeurisme en Tanzanie.

Everest, Tibet, Éthiopie, Tanzanie : Voyager est aussi une espèce d’humiliation continuelle. On croit bien faire, on se force à apprendre les rudiments d’une langue, on chemine le plus discrètement possible, on évite de laisser des traces ou des mauvais souvenirs, et voilà qu’on se ramasse régulièrement des bassines d’eau sur la tête. D’où l’éternelle question : comment éviter les faux pas ? J’en connais qui diraient : en restant assis, ce qui à le mérite d’être exact mais qui revient aussi à annoncer qu’on n’échouera jamais aux examens si on ne s’y présente pas. Ce n’est pas très ambitieux. La véritable réponse est beaucoup plus simple : on ne les évite pas. On s’en amuse.

Par exemple en Éthiopie. La randonnée se terminait par une féroce montée en plein soleil. Mon adorable Marie, la plus délurée des voyageuses, la plus joyeusement hippie et curieuse, celle-là même dont on se rappelle l’épisode du passeport volé au Tibet, cette Marie-là était épuisée. Le groupe était loin devant nous. Arrive alors une délégation de beaux vieillards endimanchés. Ils regardent Marie avant de m’apostropher rageusement. Je vois bien qu’ils ne sont pas trop fiers de moi. J’ai d’ailleurs droit à un véritable sermon dont je ne comprends pas grand-chose, sinon qu’ils pointent ma voyageuse du doigt en me traitant de crétin de première catégorie. Devant mon air béat (qui n’arrange certainement pas ma situation), mes tourmenteurs ajoutent quelques mots en anglais. J’apprends alors qu’il est indécent de faire souffrir ainsi sa mère et qu’il faut être d’un sadisme absolu pour ne pas lui annoncer qu’il existe une route pavée à moins d’un kilomètre de là. J’étais vraiment le pire des bons à rien.

Ailleurs, l’humiliation avait été différente (et heureusement pour moi, moins directement personnelle). La jeune femme s’appelait Isabelle. Je m’en rappelle assez puisque cette Isabelle-là est aujourd’hui mon épouse. C’était son premier grand voyage. Elle était timide et magnifique. C’est donc vous dire sa tête lorsqu’un moine guenilleux du monastère de Rumbok (devant l’Everest) lui soutira d’un seul coup sa tuque pour y cracher à l’intérieur une substance verdâtre et fongueuse, qu’il se la posa sur le crâne et qu’il coiffa en retour une Isabelle complètement dépassée de sa propre abominable loque mangée par la vermine. La méditation studieuse des sages de l’Everest venait de prendre du plomb dans l’aile. Quelques temps plus tard, la même jeune femme avait eu le bon goût de choisir le pire moment pour s’isoler aux toilettes (bien qu’isoler ne soit pas exactement le meilleur terme). Il s’agissait d’un trou surélevé en plein centre d’un village, protégé par des murets si ridiculement petits qu’on voyait l’officiante accroupie jusqu’au milieu du ventre. On en rigolait déjà depuis la fenêtre du restaurant quand trois jeeps vinrent se stationner tout contre la tour infernale. De toutes les chances au monde de passer inaperçu, il a fallu que ce groupe-là soit justement celui du Club Aventure ! Les joues d’Isabelle faisaient d’ailleurs un beau spectacle rouge pour les accueillir.

Quant à notre copain de la toute première chronique, l’homme du yeti désabusé, vous vous rappelez ? On le retrouve à Bhaktapur quelques journées plus tôt. Il n’a pas trop changé. Toujours sympathique, intéressant, toujours nul en anglais. Un gamin lui sert de guide vers des peintures à bon marché. Notre homme se rappelle des leçons du marchandage : on coupe de moitié. Le vendeur demande fifteen. Rusé, notre voyageur réplique par une proposition pleine de confiance : twenty-five ! Le garçon tente vainement de lui dire à l’oreille que cette façon de faire est inhabituelle mais notre astucieux personnage ne s’en laisse pas conter. Au bout du compte, dix dollars au-dessus du prix de départ, c’est quand même une aubaine.

Pour finir, ajoutons une dernière petite honte tout à fait ridicule. J’étais en Tanzanie, dans le parc national d’Arusha. L’hôtel était au milieu de la savane. Nous avions grimpé Méru la veille et je profitais d’un matin plus luxueux afin de prendre une bonne douche. J’ai donc fermé la porte avant d’ouvrir les robinets. J’étais à chanter quelques chansons ringardes de Jo Dassin lorsqu’il m’a semblé qu’on m’observait attentivement. Je me suis approché de la fenêtre avec méfiance et appréhension. Je ne m’étais pas trompé. Le museau collé à la vitre, une girafe aux penchants libidineux s’en mettait plein les yeux et me lorgnait avec gourmandise.

Le plus honteux de toutes ces histoires est encore que cette attention soudaine ne m’était pas complètement désagréable.

Pascal

1 Comment

  • Bastianetto Stephane

    Il n`y a plus que les girafes -de surcroit libidineuses- pour se rincer l`oeil sur toi. J`espere qu`Isabelle n`en a pas porte ombrage. Toute compte fait, mieux vaut etre admire par une girafe tanzanienne que par une vieille grue de la rue Ontario!
    J`attends tes commentaires
    Amities

    06/11/2008 at 19:21

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