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Sa tombe a été retrouvée par des japonais, en 1990. Un grand caisson blanc, incongru, sur le bord d’un torrent à quelques kilomètres de Luang Prabang. Que sait-on aujourd’hui de cet explorateur d’avant l’Indochine, pas même vraiment jeune au moment de débuter son premier délire oriental, crâne dégarni, redingote sombre, barbe soignée et auguste, sinon qu’il a été le premier à raconter avec verve les ruines démesurées et sublimes – pour ne rien dire des grands visages énigmatiques – du très célèbre Angkor Wat ?
On fait toujours l’erreur de l’imaginer comme ce voyageur endimanché devant des apsaras muettes, à la manière d’un Malraux de cinquante ans plus tard, sans lui ajouter toutefois – et c’est heureux – cet esprit de rapine qui nuit si fort à la mémoire de l’écrivain de La Voix Royale. Il n’en est pourtant rien. La France était on ne peut plus timide, de ce côté du monde, en 1858. C’est donc par Bangkok qu’arriva Mouhot, après avoir longuement gagné sa vie comme professeur d’anglais (notamment en Russie). Il précède d’une bonne décennie l’engouement à venir du Mékong, alors qu’on supposera pour le fleuve des vertus embarrassantes et notamment cette capacité de rejoindre la Chine sans s’ébrouer de rapides (rien n’est plus faux). Notre barbu est encore bien seul au fond des jungles humides. A peine quelques serviteurs annamites pour l’aider et un cahier tavelé afin d’y croquer sur papier ces scarabées lumineux qui lui plaisaient tellement (mais aussi, incidemment, les grands visages sages d’Angkor).
Son premier périple est une boucle sur laquelle les ruines cambodgiennes se tiennent d’un côté et la capitale du Siam de l’autre. C’est aussi le seul voyage dont il nous dit quelque chose de son vivant. Ce qu’on sait c’est que cette première fugue lui avait mis, en quelque sorte, l’eau à la bouche. Et qu’il s’enhardissait à rêver mieux. Pourquoi, écrivait-il à l’époque, ne pas explorer le plateau d’Isaan (aujourd’hui Khorat, dans la Thaïlande du nord-est), alors totalement inconnu et d’ailleurs soumis aux fièvres délétères d’un paludisme de fin du monde, avant de remonter au nord par des jungles insoupçonnées jusqu’à l’ancienne capitale du Laos ? De quoi emplir sa besace, déjà, d’insectes nouveaux. Puis, au retour, descendre le Mékong avant tous les autres afin de vérifier cette rumeur dont il sentait venir le poids, c’est-à-dire sa navigabilité. Beau programme. Sauf qu’il n’avait pas compté avec les délais administratifs de l’empire siamois (comme quoi rien ne change) et que son départ en saison sèche s’est compromis en course sous la pluie. On suit dans son journal cette lente victoire humide. Et on s’inquiète. Il atteint pourtant Luang Prabang. Il s’y installe. Il poursuit même sa quête grouillante sur le bord d’un torrent. Quelques scarabées portent encore aujourd’hui son nom, prouvant assez qu’il n’avait pas chômé. Pourtant, il est trop tard. Les fièvres ont gagné. Il s’éteint sur le bord du torrent, en 1861, bien avant qu’un journal posthume lui fasse un peu un nom. A l’endroit exact où un grand caisson blanc, incongru, s’était perdu aussi.
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