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Sur la relativité de la reconnaissance artistique à travers le monde (et accessoirement sur les affres désolants d’une certaine chronique jetée aux orties – ou plutôt aux rizières)
C’est drôle, tout de même, les réputations. La mienne déjà, par exemple. Je n’aurai certainement pas l’audace d’annoncer ici qu’elle a des mérites exceptionnels – sinon peut-être celui de l’éloignement puisqu’on profite toujours des légendes que les autres veulent bien donner de nous (c’est très pratique) – mais je m’étais imaginé autre chose que l’inquiétant écho de rizières venu l’autre matin me tarabuster les oreilles.
Certains balinais ont pris l’habitude d’utiliser notre petite maison au cours des visites faussement impromptues qu’ils organisent au profit – on aura d’ailleurs compris qu’il n’en est rien – de ces touristes néophytes peu enclins encore à se mouiller tout à fait mais cependant suffisamment enthousiastes pour s’humidifier les pattes le long des champs de riz. Ils empruntent alors notre sentier, tout en nous saluant crânement d’un large geste de la main. Ce matin-là, donc, nous étions encore couchés. Sans doute même avions-nous l’air carrément absents (ce qui n’est pas une grande nouvelle). Je n’ai pas souvenance d’avoir entendu la timide question du grand-père mais je m’en doute assez. L’ardélion balinais en avait déjà plein la bouche et se gargarisait la luette de si bien nous connaître. Il répondit : Yes. Sometime they work !
Mon Isabelle, sur l’oreiller d’à côté, pouffa de rire. Elle nous avait reconnu ! C’est dire l’effet canon de nos bienheureuses séances immobiles lorsqu’on les saluait du bras depuis notre terrasse, et ce malgré les tentatives répétées de pousser aussi jusqu’à la bibliothèque, de m’asseoir devant la grande table noire de la fenêtre et de naïvement croire que le simple fait de tenir un crayon ou d’ouvrir un portable, même devant ce riz à l’abêtissante croissance, pouvait au moins me valoir de la part des quelques-uns à passer justement sur ces rizières le bénéfice amical d’une considération. Mais là, rien du tout ! Personne n’a jamais cru ici qu’écrire c’était faire quelque chose.
Ni lire d’ailleurs. Bali représente certainement l’espace le plus artistiquement foisonnant du monde. Il n’existe pas un fermier, pas un vendeur de rue, pas une femme de chambre, pas même un pseudo guide aux idées préconçues, à ne pas savoir aussi gratter joliment du pinceau, à ne pas pouvoir alterner les cadences lentes et rapides des danses sacrées, à ne pas imiter parfaitement la pluie à partir d’un gamelan. D’ailleurs, personne ne s’inquiète ici du métier d’Isabelle, c’est-à-dire artiste peintre, alors qu’on nous criait famine et embarras depuis nos Amériques. À Bali, cette chose est mieux qu’acceptable, elle est espérée. Ce qui les embête, nos balinais, c’est cette bibliothèque que je fais pousser à l’arrière de la table noire. Nous avons même un ami (c’est une chose qui arrive), aussi opposé qu’il est possible de l’être du gargarisant cicérone, ouvert par ailleurs, généreux, compréhensif, le moins doué des commerçants du monde. Il pêche au nord de l’île tous les dimanches. Isabelle l’accompagne. Non pas pour les poissons mais pour ce qu’il a de bon à s’asseoir, devant la mer immense, un livre à la main. Toko s’en est inquiété après quelques semaines. Il s’est approché. Il s’est assis à côté d’elle. Il a attendu patiemment qu’elle comprenne qu’elle prenait de grands risques. Quant elle s’est étonnée, il a parlé doucement comme avec ses enfants lorsqu’ils font des bêtises. Il l’a gentiment sermonnée : Tu devrais arrêter cette détestable habitude. C’est comme ça qu’on attrape mal à la tête.
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