Nouvel an tibétain au Mustang

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Nouvel an tibétain au Mustang

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Crédit photo: Richard Rémy

L’édifiante aventure du roi frileux du Mustang. Le festival des ancêtres de Lo Manthang. Quelque chose de Michel-Ange sur des peintures rupestres.

Mustang : Cette année-là, nous avions fait grand cas du nouvel an tibétain au Mustang. Il nous paraissait approprié d’aller disparaître là-bas justement au moment des grands froids de février puisqu’on s’évitait tout à la fois les foules étrangères du mois de juillet et le départ regrettable de ceux dont le commerce gardait encore quelque chose de l’ancienne habitude caravanière sur la Kali Gandaki. Nous n’étions pas sans espérer aussi qu’un peu de neige vienne joliment saupoudrer les canyons cramoisis de la région afin de suivre à la trace les tibétains endimanchés lorsqu’ils partiraient bruyamment vers la grande fête de Lo Manthang (c’est-à-dire la capitale fortifiée du bout de la route). Nous nous trompions sur tous les tableaux.

Il n’a pas fait vraiment froid, il n’a pas vraiment neigé. Les villages étaient quasiment vides, laissés aux bons offices de quelques moines dont on pouvait douter qu’ils connaissent quelque chose des beaux livres sacrés, de mastiffs déguenillés aux babines effrayantes et de vieillards endormis sur le toit des chaumières. De mon côté, je n’étais pas sans adorer cette étrangeté rouge du paysage, ces vestiges étourdissants du temps des troglodytes, ces stupas chapeautés jouant aux sentinelles et cette immensité vide qu’on était visiblement les seuls à traverser, mais c’est justement pourquoi il manquait quelque chose. Où étaient donc les foules notoires du temps des fêtes ? Et d’ailleurs, où donc était la fête ? Il y avait plus de vaches que de passants à Lo Manthang, malgré un mur d’enceinte époustouflant, une porte qu’on fermait encore tous les soirs quelques années plus tôt, des fresques religieuses d’une finesse excessive et des ruelles en labyrinthe. J’ai réveillé rudement le premier vieillard venu. Il a pointé le bâtiment d’en face, celui qu’un chien patibulaire gardait férocement. J’ai doucement compris. La ville était vide parce que le palais du petit roi l’était aussi. Le frileux personnage n’avait pas voulu s’emmitoufler pour revenir chez lui ni subir l’humidité désagréable de son vieil édifice, préférant regarder depuis Katmandou des festivités qui lui appartenaient moins mais qu’il pouvait faire semblant d’apprécier sans autre effort que celui de s’asseoir quelques heures avant de retrouver son hôtel et son chauffage central. Dès lors, les jeunes étaient partis aussi faire la grande fête en ville. Et les réjouissances prévues au Mustang s’apparentaient désormais au bingo du dimanche dans une maison de retraite.

Autant ne pas avoir l’indécence d’écrire ici que tout allait selon nos plans, ni qu’on s’inquiétait encore de la rentabilité relative d’une expédition où les guides étaient aussi nombreux que les clients (c’est-à-dire 2). Nous avions mieux à faire. Par exemple, nous cacher dans une grotte et disparaître. Faire l’autruche troglodyte en quelque sorte. Ironiquement, c’était plutôt une bonne idée. Nous connaissions l’existence d’une caverne explorée par Peissel, bien des années plus tôt, sur le contrefort oriental d’une falaise érodée. L’endroit était cependant excessivement reculé et je craignais une déconfiture supplémentaire pour l’excellente raison que nous avions déjà, précédemment, osé un détour vers le curieux monastère de Samdruling dont le seul désagrément était encore de ne plus exister du tout. Je nous voyais mal, après la longue marche du bingo tibétain, ajouter la mauvaise surprise d’une cavité insignifiante au bout d’un cul-de-sac. Heureusement, la vallée latérale était belle, le Dhaulagiri faisait à l’arrière de nous une croissance stupéfiante et quelque chose d’usé sur le chemin rappelait subrepticement l’existence oubliée d’un pèlerinage. Aujourd’hui, je sais que certaines grottes inaccessibles attendent encore que des archéologues découvrent que rien n’a trop changé de l’intérieur des pièces. Je sais aussi que des artistes merveilleux avaient autrefois couvert les murs de fresques invraisemblables, comme s’il était normal que des émules asiatiques de Michel-Ange s’amusent à composer d’improbables Sixtine au plafond de grottes exagérément isolées. Cette première fois, nous nous étions contentés de Lori. C’est-à-dire d’une cavité moins inabordable sur le haut d’une falaise. D’une pièce étroite contenant un stupa au vernis chatoyant. Et de peintures aux personnages élaborés et dansants sur le plafond et sur le stuc. C’est-à-dire une merveille. Un art au plus haut de sa réussite picturale, comme à Alchi, à Tsaparang, à Shalu, à Tabo, à Lo Manthang, comme à Sixtine donc. Cependant au bout du monde.

Le roi est absent, vive le roi !

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Pascal

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