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Pierre Maury (Pays cathare, 14e siècle)
L’Histoire est presque toujours l’histoire des grands hommes. Mais les petits, les honnêtes, les décents, ceux qui s’attardent à labourer les champs ou à mener les troupeaux, ceux qui font humblement leur devoir d’être humain, où sont-ils ? On ne les connaît pas.
Sauf un, peut-être. Un berger tout simple. De ces bergers magnifiques dont on imagine qu’ils lisaient les étoiles, de ces coureurs d’espace. La vive étincelle cathare, c’est-à-dire l’idée de voir autrement le sacrifice du Christ avec tout ce que cela oblige de différences ensuite, était alors au point de s’éteindre. Montségur était tombée soixante ans plus tôt. La France s’installait sur cette terre du sud en y chassant le comte de Toulouse, pesamment, moins parce qu’il fallait anéantir une hérésie que parce qu’il était pratique d’en supposer une afin de s’assurer, devant l’Aragon, l’usufruit du pays d’oc. Quelques villages reculés – qui n’étaient d’ailleurs pas gaulois du tout – résistaient encore tant bien que mal aux assauts de l’Inquisition. L’un d’eux s’appelait Montaillou. De celui-ci venait notre pâtre au grand c½ur. Il avait, tout jeune homme, mené les chèvres des autres sur les collines avoisinantes. Il prenait goût au vent. Mon destin, disait-il, c’est d’aller par monts et par vaux, c’est d’avoir partout des compères et des amies changeantes. Je ne peux vivre autrement que j’ai été nourri. Si je demeurais en permanence à Morella (un petit hivernage catalan), je crèverais en temps d’estive. Il était généreux, jovial, optimiste au fond d’une époque qui prêtait mal à rire, presque moderne dans sa simplicité. Il avait eu la bonne fortune d’être sur les routes au moment de la première rafle religieuse, en 1308. Il était donc recherché puisqu’il était favorable aux hérétiques, qu’il devait marier la fille de Raymond Pierre, lui-même cathare convaincu, mais on sent bien qu’il ne s’en soucie pas trop fort. Il avait mieux à faire. C’est tout juste s’il pousse ses vagabondages au sud et oscille entre estives pyrénéennes et hivernages catalans. C’est alors qu’il rencontre Guillaume Bélibaste, que la grande histoire connaît comme le dernier des vrais cathares. Ce qui est beaucoup dire lorsqu’on le connaît un peu plus. Pierre est attiré par cet homme exubérant, malhabile dans sa foi incertaine, pas même mauvais bougre au bout du compte. Il accepte même de marier brièvement la compagne de Bélibaste, sous prétexte qu’elle n’était autre chose qu’une couverture pour dissimuler l’ascète, mais renonce aussitôt qu’il comprend que sous cette couverture on pouvait être enceinte. C’est aussi lui qui servira de guide, même s’il se méfiait beaucoup de celui par qui venait la nouvelle, lorsque le bonhomme choisira de se risquer en France afin d’offrir le consolament (c’est-à-dire le seul sacrement cathare) à une mourante. Pourtant, il avait raison. C’était bien un piège. Pierre s’en sortira, cette seconde fois encore, s’offrant le délire d’une fuite où 100 kilomètres à pied se faisait tous les jours. De quoi s’essouffler tout à fait. Et de finir au mur strict, c’est-à-dire enchaîné sévèrement au mur d’une prison, et d’en mourir très vite. Mais seulement après avoir laissé en doux témoignage, tandis qu’il répondait presque gentiment aux questions de l’Inquisiteur, qu’on pouvait être très grand en restant très petit.
France – Les sentiers cathares – 15 jours, niv.1+, rando
Prochain départ: le 13 septembre 2008
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