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Où l’on s’instruit du code de la route dans une bagnole bringuebalante et caractérielle (et ce qu’il advint d’ubuesques mécanos chinois lorsqu’ils mirent le doigt sur le problème)
Notre véhicule était une espèce de jeep démodée, rouillée et militaire, photogénique dans la mesure où nous avions l’air de rouler en 1940 et qu’elle nous donnait cette allure d’explorateurs à la dérive prêts à tous les exploits afin de ne pas finir essorillés par des voleurs de grands chemins aux débordements intempestifs. C’est du moins ce qu’on se racontait tous les soirs lorsqu’on était en panne. La vérité était moins romanesque. Nous conduisions cette bourrique malodorante pour quelques raisons faciles, déjà parce qu’elle était discrète sur les pistes malgré le bruit pétaradant d’un moteur à l’agonie et n’attirait pas l’attention chinoise sur deux étrangers dont les permis n’étaient pas exactement en règle (c’est le moins qu’on puisse dire), ensuite parce qu’elle n’avait aucune composante électronique, ce qui n’était pas sans nous rassurer au moment des réparations qui se multipliaient puisqu’on pouvait facilement trouver les pièces de rechange, et enfin, pour la banale explication que les pires voitures sont encore les moins chères à obtenir. Nous avions même donné un nom à l’odieuse haridelle. Nous l’avions surnommée cocotte. Et cette cocotte-là n’entendait pas à rire. Chaque colline de plus de deux minutes lui mettait si bien le moteur en rogne qu’une fumée sombre lui sortait des naseaux, au point qu’il fallait attendre calmement que son humeur refroidisse ou alors ouvrir carrément le capot, sortir la tête par la fenêtre, et poursuivre la montée sans trop y voir grand-chose. Chaque matin, c’était une galère épouvantable pour la faire démarrer. Il faisait froid et l’eau du radiateur gelait profondément. J’en vois qui s’étonnent. Et l’antigel que diable ? C’est tout le problème. Une sympathique tradition orientale suppose qu’il est nocif (voire périlleux) d’utiliser de l’antigel. Donc on n’en trouve jamais. La solution est du reste assez simple. Avant d’aller déjeuner dans un boui-boui quelconque, le chauffeur allume un petit feu sous son véhicule. Lorsqu’il revient, l’auto est chaude – ou brûlée. Le meilleur truc est encore de stationner son engin assez loin du restaurant.
Quelque temps après ces péripéties liminaires, nous avions obliqué vers le désert du Qaidam à la recherche des laissés-pour-compte des armées de Gengis Khan. La piste ondulait entre des dunes de sable. C’est moi qui conduisais et cocotte se tenait tranquille. Tout allait presque bien. J’ai donc accéléré, ce qui était ridicule puisque l’accélérateur se bloqua forcément. Nous sautions désormais d’une ornière à l’autre comme un aéroplane en mal de décollage. J’ai visé la première dune à gauche et vlan dans le banc de sable. Pour la seule fois de ma vie, j’étais vraiment au fond d’un désert ! Et j’en avais plein les dents.
Le plus étrange est pourtant ce qui va suivre. On s’est d’abord extirpé de la dune et on est reparti. Le paysage s’allongeait en montagnes sèches sur lesquelles venaient buter des pistes de léopards des neiges et de chameaux de Bactriane. C’était un monde mangé de soleil et de sable. Puis brusquement, le moteur s’est échauffé (sans le moindre soupçon de colline en vue). Je regarde l’hélice du radiateur. Elle touche à
la tôle. Je pense à un effet de l’accident. Sauf qu’il ne s’agit pas de tôle ondulée sur un moteur intact mais d’une tôle intacte sur un bloc moteur complètement dévissé qui ne tient plus que par l’hélice. On arrête donc dans un village minuscule où le sable s’accumule jusque sous les fenêtres. Deux hommes viennent regarder le désastre. Le premier plonge immédiatement une main dans le moteur tandis que le second (allez savoir pourquoi ?) s’amuse avec le démarreur. Évidemment, la courroie du moteur s’emballe et l’un des doigts du mécano est tranché net. On tire certainement une drôle de tête puisque nos deux énergumènes nous regardent en rigolant. Je ramasse tout de même l’index du premier hurluberlu et lui redonne. Celui-ci n’en paraît pas autrement contrarié. Il regarde le doigt qui manque avant de partir vers la clinique du village tandis que l’autre continue sa découverte éberluée du système d’allumage. Notre blessé nous revient dix minutes plus tard avec neuf doigts et un bout de tissu sanguinolent. Il remonte aussitôt sur le capot. L’autre n’a pas bougé et gratouille toujours le tableau de bord. Quant à nous, on se dit qu’on aimerait bien repartir un jour de ce village de fou mais qu’au rythme où vont les choses la voiture sera irréparable dans quatre-vingt-dix minutes, par manque de doigts.
Mon ami retire donc prestement la clé de contact. Dans l’histoire, c’est plutôt notre fuite qu’on protégeait.
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Les péripéties forment les voyages en effet, l’organisation ou le materiel un peu broche-à-foin étant parfois en cause .. Plutôt zen le monsieur pour si rapidement faire deuil de son index!
Dans ce genre de situations incontrôlables loin de la maison je me dis toujours… « linving the dream…! »
Merci pour le partage
D’une certaine facon ça donne le goût de replonger tête première dans l’inconnu et l’aventure. Le retour aux études occupe présentement la premiere place en terme de priorités mais le temps viendra.. 🙂
D’ici là je me torture à me délecter des recits des autres… ehhe!
alors merci
Jessica Després