Accommodement des raisonnables

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Accommodement des raisonnables

Comme quoi il ne sera pas dit qu’un certain chroniqueur est toujours bête pour pas grand-chose (ou ce qu’il advint d’icelui selon qu’il eût affaire à Mustapha ou à Tenzing)

Avec les journaux, c’est très facile. Certains individus sont blancs dans tous les sens du terme (nous, de préférence) et d’autres le sont moins. Un couillon est toujours vénérable du moment qu’il s’appelle Jean-Guy ou Mario, qu’il est pure laine au pays des Iroquois, qu’il paye régulièrement ses impôts. Quant à l’autre, l’indien, le juif, l’arabe surtout, on ne dit pas trop fort qu’on s’en méfie beaucoup mais on l’écrit toujours entre les lignes. C’est en voyage que toute cette bêtise éclate. La terre n’a pas moins d’imbéciles à Bagdad qu’à Montréal. Ni moins d’êtres humains d’ailleurs. C’est peut-être la plus idiote des vérités, mais c’est aussi pourquoi il faut la redire. En guise d’exemple, voici deux hommes opposés.

Disons d’abord qu’on se fait des moines bouddhistes l’image éthérée de sages au-dessus des autres, le pied déjà posé sur un nirvana qui nous dépasse. Peut-être. Mais si j’avais quelques droits à ce chapitre, j’enlèverais de la liste l’abbé du monastère de Kaza. À l’époque, les banques étaient fermées pour un long festival dont j’ai oublié le nom. L’argent manquait cruellement. Plusieurs chauffeurs d’autobus n’avaient plus assez de liquidités pour remplir les réservoirs et certains commerces faisaient crédit pour la seule raison qu’il était ridicule d’espérer vendre quelque chose à des badauds aux poches vides. C’est alors que notre crapule ecclésiastique ouvrit boutique. Il se plaça au fond du monastère, benoîtement assis devant d’astucieuses piles de roupies indiennes. Et nous faisions la queue. Le fielleux personnage avait pris l’habitude d’hoqueter en se tenant le c½ur à chaque soupçon d’indignation venu de la file, rappelant avec une faiblesse affectée qu’il était bien cette réincarnation de dernière minute d’un saint véritable dont il nous abreuvait de l’obscure généalogie. Conséquemment, il lui était insupportable (pour ne pas dire douloureux) que certains supposent qu’il n’était pas d’une honnêteté sans tache, ce qu’il s’empressait de prouver en montrant du doigt la pauvreté évidente de son établissement. Mon voisin (qui était d’ailleurs moine dans une ville des environs) s’empressa de m’en faire douter en me soufflant à l’oreille que cette pauvreté-là était pourtant la plus fastueuse à cent miles à la ronde. Et que les pauvres ascètes de son genre n’avaient pas toujours un embonpoint à faire pâlir les lutteurs de sumo. Quant vint mon tour, l’abbé me fit néanmoins le plus doux sourire du monde et murmura à mon égard quelques patenôtres appuyées. Ce qui l’exonéra sûrement de ne prélever ensuite que la plus infime quantité d’argent en retour de dollars qui n’étaient pas si infimes que ça (c’est-à-dire que pour un taux usuel de 1 pour 45, il y allait d’un monstrueux 1 pour 15). Même les mercantis les plus culottés de Delhi n’avaient jamais osé autant ! Comme quoi la foi fait quelquefois les plus éblouissants voleurs.

Inversement, on m’avait beaucoup dit de me méfier des turcs (ma directrice de thèse était grecque). Pourtant, il s’est trouvé un jour que j’avais oublié mon portefeuille dans un village d’Anatolie. J’étais alors du genre à le laisser traîner partout et à ne pas m’en rendre compte. L’autobus était reparti depuis une quinzaine de minutes lorsqu’un taxi enthousiaste nous doubla brutalement avant d’effectuer la plus acrobatique des queues de poissons. En sort aussitôt un jeune homme visiblement pauvre et honnête et qui, très poliment, paraît s’excuser du grand charivari avant de venir vers moi. Il m’annonce que j’avais laissé sur la table d’un café mon passeport et mes papiers. Qu’il avait d’abord couru après l’autobus avant de sauter dans un taxi en le convainquant de l’urgence de nous rattraper. Il demande ensuite aux voyageurs de patienter encore puisqu’il aimerait bien me laisser quelque chose d’un souvenir avant de repartir. Nous attendons donc quinze minutes de plus qu’il trouve du chocolat. Personne ne s’impatiente vraiment du long délai. Au contraire, ils seront plusieurs à chercher avec le jeune homme quelques biscuits à ajouter à mon appétissant garde-manger. Quant au reste, après un départ où l’autobus entier lui avait envoyé la main, tous les passagers se feront un devoir de venir solennellement me dire au revoir au moment de débarquer. J’écris encore parfois au jeune homme pauvre. Il a vieilli et moi aussi. Il s’appelle Mustapha. Il est professeur. Il croit que l’islam est un cadeau à partager. Comme quoi la foi fait quelquefois les plus lumineux amis.

Pascal

Care

2 Comments

  • Blondie

    Quelle merveillleuse histoire! S’il y en avait plus de celles-là, peut-être les gens seraient plus ouverts….

    06/12/2007 at 22:06
  • Rozenn

    Quelle merveilleuse histoire que ce Turc…
    Cela donne espoir.
    Je rentre d’Ouzbekistan et les gens sont ainsi là-bas aussi.
    J’espère que tu vas bien Pascal et que tu te plais à Bali?
    Au plaisir de te lire…Rozenn

    10/12/2007 at 15:13

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