Les caprices d’un lac

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Les caprices d’un lac

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Le calme avant la tempête…?
Crédit photo – Pascal Guillaume

Les péripéties débridées d’un lac tibétain pas vraiment comme les autres. La route enneigée. L’interrogatoire des Khampas de Pelku Tso.

Kaïlash : Certains lieux ont cette curieuse habitude de ne rien faire comme les autres – d’avoir une terre de mule si vous me passez l’expression – et d’attirer fatalement les embrouilles de la même manière qu’une chaussette en fin de parcours attire amoureusement les mouches. Je pense ici au grand lac de Pelku, sur le plateau tibétain occidental. Imaginez un endroit d’une redoutable immensité, donc cette eau au bleu cobalt terminée par une langue herbeuse moirée d’ocre, de blanc et de jaune. Ajoutez-y, côté sud, la croissance échevelée de l’Himalaya avec ce qu’il faut d’un mur pour arrêter la grande horizontalité tibétaine. Et bien, c’est là. Dire que la chose est belle me paraît un peu ridicule. C’est inhumain plutôt. Trop grand, trop vaste, trop vide, peut-être trop beau justement. Et puis, le lac est joueur. Les collations tranquilles avec nappe étalée au soleil pour jolies femmes à bibi et garçons à gibus, ce n’est pas vraiment son truc. Pelku Tso aime mieux le vent qui décoiffe, la neige qui tombe, les hommes qui peinent. Et rigoler des groupes qui passent.

À notre seconde visite, il avait joué gros. Le voyage avait été parfait jusqu’alors, chaleur inhabituelle, Kaïlash en pleine forme, paysages démesurés. Il ne restait que lui pour tenter autre chose. Nous avions traversé un pont récent sur la Tsangpo avant de grimper progressivement vers la frontière népalaise. Peu à peu, la neige au sol s’accumulait et les campements nomades paraissaient s’étaler sur de la lumière. Les jeeps et notre camion glissaient férocement. Et puis un vent coulis s’est infiltré dans la vallée à partir du lac. Le coquin nous attendait. La route disparaît aussitôt, le froid se fait désagréable, les roues patinent. Le camion s’enlise. Les jeeps aussi. C’est à qui sortira le dernier pour pousser, pour creuser devant les roues, pour déblayer (à ce jeu, c’est souvent moi qui gagne). La nuit tombe et une voiture de police patauge dans notre direction. Je me dis qu’un peu d’aide ne serait pas de refus. En fait d’aide, la sirène se fait assourdissante tandis que les poulets attendent impatiemment à l’intérieur du bolide, qu’ils menacent du poing nos infortunés chauffeurs et qu’ils passent enfin en ayant obligé ceux-ci à tant se ranger que nos roues partent imiter les tracteurs dans la neige effondrée. Il y a des photos qu’on ne devrait jamais prendre. Par exemple celle de notre expédition à la dérive, le grand camion tout de travers, une jeep enfoncée à 45º sur le bas côté, une autre peinant ridiculement à faire demi-tour et entre tout ça, quelques drôles à jouer les patineurs et se geler les oreilles. Il était trois heures du matin lorsqu’on a retrouvé le pont. Quant au lac, il valait mieux l’oublier puisqu’il fallut encore se payer trois jours de détours pour le contourner sans le voir.

Quelques années plus tôt, Pelku Tso nous l’avait joué différente. Le pont n’existait pas et un bac préhistorique permettait la très lente traversée du Brahmapoutre. Il n’y avait pas de neige et le lacustre individu tirait sa gueule des meilleurs jours. Nous avions posé les tentes le long de sa rive méridionale, entre l’eau cristalline et les sommets vertigineux. C’était parfait. Des khampas campaient aux alentours (c’est-à-dire ces tibétains de l’est aux cheveux noués dans un grand ruban rouge et dont la fumante réputation de détrousseurs de caravanes – tant par les tibétains eux-mêmes que dans les récits des explorateurs – n’est peut-être pas la plus surfaite des inventions). Au moment du souper, nous nous retrouvons tous dans la tente-repas. Le drame survient juste après. Marie dormait dans la tente du fond et son sac avait disparu, c’est-à-dire de l’argent, quelques bricoles et surtout son passeport. Nos sherpas n’en font ni une ni deux. Le cuistot s’arme d’un lourd piolet, quelques-uns prennent les mines patibulaires de circonstance et nous sautons tous dans les véhicules pour une expédition punitive vers les tentes voisines. La technique est plutôt simple. On essaie de faire peur le plus rapidement possible. Nos jeeps rebondissent donc sur les talus avant d’aller frapper du capot les campements ennemis, tandis que nos phares allumés ajoutent l’idée saugrenue d’un interrogatoire en rase campagne digne des plus forts clichés hollywoodiens. Notre cuisinier sautait toujours le premier des voitures et j’ai vu des khampas rapetisser et blêmir à voir fondre sur eux cet alpiniste furibond. Au troisième campement, nous avions même ajouté à notre répertoire l’intelligente invention de policiers pour venir les interroger ensuite (avec tout ce que cela comprenait de prison et d’emmerdes pour l’adversaire). Voilà qu’on devenait carrément délateurs chinois contre les tibétains. Ce n’est pas qu’on s’en vante beaucoup mais la chose est rigolote. Quant au terrible voleur dont nous cherchions les traces en jouant les gros bras, sa mère nous l’amena par l’oreille tandis qu’il sanglotait à faire pitié. Le voyou retrouvé avait dix ans à peine !

Tibet-Népal – Kaïlash, à l’origine du monde
, niv.3+, 32 jours.
Prochain départ – 1er octobre 2007

Pascal

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