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Tsangyang Gyamtso, le 6e Dalaï-lama
Tibet central, 17e siècle
Nous sommes à Lhassa. Imaginez un lent dédale de maisons blanches sur trois étages et l’étonnant Barkhor où déambulent les pèlerins. Remarquez aussi, de temps à autre, quelques demeures anciennes d’un jaune presque safran. Arrêtons là, voulez-vous ? Car il se trouve que sur cette couleur de feu on pourrait dire beaucoup. Il faudrait revenir en arrière. Revoir tout le tragique d’un Tibet qui s’enfonçait dans une religieuse amertume, à l’écart des autres, à l’écart du temps, sur le mauvais versant d’un âge d’or qui finissait à peine. Le 6e Dalaï-lama était un tout jeune homme. Mais il n’avait pas voulu de l’équivoque emprise des moines du 17e siècle, de cette politique du spirituel. Il refusa les v½ux monastiques. Le tissu safran qu’il n’a jamais porté sous sa bure de moine, il l’a peint sur les murs. Sur ses quartiers d’indécence, comme il osait le dire, là où couchaient ses maîtresses…
On a parlé, sur la vie de ce foisonnant personnage, de trois grands mystères. Sa naissance, d’abord, puisqu’il avait fallu la cacher une vingtaine d’année (dans des conditions exécrables) afin de ne pas donner suite aux rumeurs de Lhassa qui prétendaient, non sans raison, que le grand cinquième était mort depuis longtemps déjà mais qu’on en cachait l’évidence afin de ne pas déstabiliser un pays qui n’allait pas se remettre facilement de la mort d’un si grand homme (tant bien même sa réincarnation attendait sagement, dans la peau du 6e, aux frontières du royaume). Sa vie, ensuite, et donc cette absence de v½ux monastiques afin d’éviter manifestement de se retrouver prisonnier une seconde fois, malgré l’ajout d’une soutane soutachée d’or. Sa mort, enfin, c’est-à-dire cet assassinat politique au bout d’un long scandale, mais dont les rumeurs mal étouffées avaient permis à un charlatan de se faire passer longuement comme le survivant miraculé du drame et donc ajouter cette légende envahissante d’un 6e grand voyageur devant l’éternel. Ce que confirmera pourtant notre Dalaï-lama actuel en lui prêtant une bonne foi – ma foi inespérée -, ce qui n’est pas sans créer un malaise évident au c½ur même du système des réincarnations bouddhistes puisque c’est oublier bien vite le 7e avatar du même personnage, bien évidemment vivant à partir de la mort officielle de notre homme, ou supposer en soupirant trop fort qu’il n’est pas hasardeux d’écarteler une âme (même bouddhiste) entre deux têtes.
Tout ça pour dire que ce genre de pèlerinage me plaît, à Lhassa, de maison jaune en maison jaune. Il est beau qu’un Dalaï-lama puisse ressembler parfois aux hommes, qu’il ait leurs faiblesses, leurs limites, cet azur jeté trop bas, ces yeux portés trop hauts. Notre homme écrivait des poèmes chantés. Simples et vrais. Beaux et tristes. On les écoute encore les soirs de fête, de peine ou d’alcool : Ce matin, ma belle est partie dans la neige. La tempête a effacé ses pas. Depuis, je la cherche en vain et mes pas dans la neige sont des chemins vers elle. À Lhassa, il me plaît de marcher derrière le c½ur d’un homme. De voir ses fautes, de sentir son errance, et lorsque apparaît un mur jaune entre les murs blancs, je crois ressentir un peu de sa joie. Quelqu’un attendait là. Il y a peu de bonheur plus grand. Etre attendu. Etre souhaité. Même être aimé peut-être. Le blanc de Lhassa ne me dit rien qui vaille. Il est vierge toujours, sans passion ni désir. Le jaune est un soleil. Une tache aussi. Parfois, l’impureté et un attrait…
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