Et si on se faisait du cinéma…?

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Et si on se faisait du cinéma…?

Octobre 2005

Où l’on compare les vertus des cinémas Guzzo avec l’ambiance d’une salle de banlieue pakistanaise (et ce qu’il advint de la rencontre grivoise de Mohammed avec Cameron Diaz)

Il y a quelques temps, j’étais allé au cinéma Guzzo avec mon frère. Grande salle aux sièges comme ceux des avions, atmosphère feutrée, bruit de pop-corn et d’aspiration de pailles. Rien à dire. C’était aussi froid qu’un matin d’hiver. J’aurai voulu me tourner vers mon frère et lui dire ce que j’en pensais. Mais on ne parle plus dans les cinémas d’ici. On se tait et on regarde. Et pourtant, certains se rappelleront peut-être de « Cinéma Paradiso » avec Philippe Noiret. Vous savez, c’est cette histoire d’un petit cinéma de la campagne italienne et de tout ce que la salle pouvait contenir alors de vie et de drôleries, ce couple qui y faisait l’amour, ces scènes coupées par la censure, ce bruit de foule, cette fumée, cette histoire donc toute autant dans la salle que sur l’écran.

C’est de ça que je m’ennuyais au Guzzo. De Quetta par exemple. C’était au Pakistan du sud, sous Kandahar et la frontière afghane. Le cinéma était à la sortie du village, alors que le grand désert vers l’Iran reprenait très vite le peu qu’il avait laissé aux hommes. Une grande affiche était peinte sur le mur afin d’annoncer la projection, plutôt ratée d’ailleurs, même si la curiosité hautaine des chameaux ne semblait pas s’en offusquer. Il s’agissait du « Masque » de Jim Carrey, vous savez cette histoire saugrenue où un masque vert permettait à l’acteur toute une série de grimaces un peu ridicules. Je suis entré. Étant riche (c’est-à-dire que je dépensais par jour jusqu’à 6 dollars américains), j’ai eu droit aux places d’honneurs. Deux rangées de six sièges souillés, devant un rideau rouge qui me cachait la salle. Ce rideau c’est levé quelques minutes avant la projection, permettant de voir une salle tonitruante où les hommes se parlaient à grands renforts de gestes. Quelques secondes passèrent, puis plus un bruit. Le film commençait ? Pas tout à fait. Mais on m’avait remarqué. Tous les regards soudainement tournés vers l’arrière et moi comme un idiot, sur cette estrade pour riches (où j’étais d’ailleurs le seul), à faire de discrets signes de la main pour tenter de dire à tout ce beau monde que le film, derrière eux à présent, avait bien commencé. Tout à son spectacle (c’est-à-dire qu’il était près de moi), même le préposé aux lumières oublia de les tamiser. Quant au film, j’ose à peine dire qu’il se projetait le plus merveilleusement du monde, à moitié sur l’écran, à moitié sur le plafond. Dans ce tohu-bohu, aucune chance d’entendre le son. Chacun donnait son avis sur ce drôle de bougre tout seul sur sa rangée de sièges, et il n’était pas rare d’entendre Amhed, tout en bas à droite, criant à Mohammed, tout là-haut à gauche, lui dire que j’étais cette étrange vedette du cinéma américain – laquelle ? je ne l’ai jamais su -, mais certainement quelqu’un de célèbre puisque j’avais les cheveux longs (sans doute aussi parce que j’avais l’indécence de payer si chère ma place). Les demandes d’autographes n’étaient pas loin. Je regrettais seulement mon stylo à l’hôtel.

Ce qui m’a sauvé c’est Cameron Diaz. Il se trouva qu’elle entra dans la banque (dans le film, je veux dire). Vous vous rappelez peut-être de la scène ? Pour bien montrer qu’elle allait devenir l’amante de l’acteur au masque vert (Jim Carrey donc), la caméra se laisse aller à monter doucement sur elle depuis ses chaussures blanches jusqu’à ses cheveux blonds. La salle est devenue comme folle. Chacun s’est levé d’un bond, comme si la Diaz avait fait au centre Bell le plus incroyable des buts, et plusieurs se sont enlacés chaleureusement. Il n’était plus question de voir le film (même depuis le plafond). Ahmed ne s’est plus tenu. Une vague a déferlé dans le cinéma, et puis une autre puisque Mohammed n’était pas du genre à s’en laisser imposer. Il y eût même un garçon pour venir m’embrasser, tellement était grande l’émotion du moment. Le temps de s’en remettre, le temps de se rasseoir, et les lumières qu’on venait tout juste d’éteindre, se rallumaient encore. C’était l’entracte ! Cohue vers la sortie et grande consommation de collations de toute sorte. Le film a repris dans une salle encore vide. Faudrait-il ajouter que le projectionniste, histoire de varier les plaisirs, avait cette fois posé son film à moitié sur l’écran, à moitié sur les sièges. Tout à leur collation, les spectateurs qui revenaient ne s’en formalisaient pas trop. Comme les vêtements étaient blancs, on y voyait assez bien. Mais lorsque Diaz est revenue (qu’avait-elle mangé pendant la pause ?), il fallu se rendre à l’évidence. Son allure en prenait un coup à se dévoiler sur le dos des hommes. Cris indignés, colère qui gronde, le projectionniste coupa le film pour se venger un peu. Puis avec ce mauvais caractère si particulier aux projectionnistes de Quetta, il remit celui-ci parfaitement au centre de l’écran.

Étrangement, ça m’a déçu.

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Pascal

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