L’aventure est une tempête

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L’aventure est une tempête

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Crédit photo: Pascal Guillaume

L’essoufflant récit des 36 heures du Dhaulagiri. La tempête à dormir debout.
Le grand mystère du camp fantôme.

Nous étions deux à guider le premier groupe autour du Dhaulagiri, ce 8000 mètres démesuré et trapu à l’ouest des Annapurnas. Nous avions 86 porteurs pour environ 20 jours d’autonomie. Le groupe était rigolo et facile. Nous avions traversé des villages gurungs, des champs de cannabis, des alpages semés de fleurs sauvages, un long glacier aux fractures évidentes, le camp de base d’une équipe américaine où quelques amis tentaient de grimper la montagne par la voie classique. Il était plus complexe de poursuivre ensuite dans la neige et le vent, de s’attaquer à la longue crête du French Col , au large plateau d’Hidden Valley, de s’habituer aux bourrasques soudaines et à la fraîcheur nocturne. Notre campement d’altitude ressemblait à un point sombre dans un champ de neige, sur un col démesurément large depuis lequel le monde était vaste. On apercevait l’Annapurna après l’inquiétante trouée de la Kali Gandaki. Tout était blanc et calme et vide. Nous dormions à 5300 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Dans la nuit, nous avions réveillé le groupe. Chacun avait silencieusement mis ses crampons, pris les piolets figés devant les tentes, regardé si la Lune nous tiendrait compagnie. Le ciel était clair. Les pas crissaient sur la neige solidifiée et nous marchions en automate, lentement, formant de larges S s’étalant vers le haut. Peu à peu, l’aube déjouait la nuit en ajoutant du mauve, du violet, du rose, du blanc. Certains ont levé les yeux pour découvrir que le sommet approchait à la manière d’un chat qu’on apprivoise, qu’il semblait reculer avant de revenir, qu’il hésitait. Nous avions ralenti. Quelques passages nécessitaient des cordes fixes, la crête quelquefois s’affinait, la neige amollissait. À 6035 mètres, nous étions exaltés devant la beauté du monde, hébétés de fatigue, fiers d’avoir osé le grand travail inutile d’aller si haut pour simplement redescendre. On croyait avoir fait le plus dur. Nous n’avions pas vraiment commencé.

Tout en bas, la trace d’une caravane rappelle que nos porteurs s’étaient lentement ébroués en direction du camp suivant, quelque part en aval. C’est alors que tout change. Des nuages effrayants surgissent d’on ne sait où. Puis un vent en rafales nous les rabat sur la figure. Puis une tempête de neige fait tout disparaître. On resserre le groupe. On sert les dents. Certains titubent. Nous remarquons une sensation d’électricité sur nos piolets et crions rapidement de les jeter avant qu’ils deviennent des paratonnerres pour nous griller les bras. On ne voit plus rien. Le bruit est assourdissant. Des cristaux de glace nous lacèrent la figure. Nous savons qu’il sera difficile de retrouver la caravane. Ce qui compte, c’est de ne pas quitter le fond de la ravine, d’y rester à tout prix puisqu’il s’agit de la voie principale. Discrètement, nous avisons qu’il faudra probablement se résoudre à utiliser le dépôt de nourriture de l’expédition du camp de base. Selon les indications, ça devrait être ici, sur ce plateau qu’on suppose un peu large. Comment en être sûr ? C’est tout simple. En marchant sur la tente qui s’était écroulée. En butant sur les vivres. Il faut impérativement la remettre sur pieds, sortir les réchauds et préparer le thé. Débute alors la nuit la plus fébrile qui soit, d’abord entassés sur le sol entre les caisses, puis debout à tenir les montants lorsque la tempête s’affole, enfin quasiment à l’extérieur lorsque la toile explose et qu’il faut rapidement l’alourdir de neige pour ne pas risquer de voir la tente s’envoler tout à fait. Et toujours l’assourdissante rumeur du vent, la neige à l’horizontale, le froid qui saisit, la tête qui tourne. Si bien que l’aube nous tombe dessus par surprise. Une aube blafarde, affolée, un paysage en cendre. Et puis le vent hésite. C’est l’accalmie. On se consulte au fond de la tente. On décide de ne pas se faire prendre ici si la tempête reprend. Descendre au plus vite. En ligne droite. Car déjà, le vent recommence. Donc on repart. Donc on descend. Le plus difficile, dans la neige fraîche, est encore d’éviter les avalanches. De bien doser la pente. De courir sans trébucher.

Quatre heures plus bas, c’est enfin de la pluie qui tombe. D’un seul coup, c’est fini ! Reste à répondre à la question du danger. Était-il véritable ? Non dans la mesure où nous connaissions le dépôt de nourriture, que nous étions plusieurs et équipés. Oui s’il faut parler d’embarras, d’inconfort, de malaise, voire d’hypothermie ou d’engelures superficielles (ce qui n’a pourtant pas été le cas). Il s’agit surtout d’un prix à payer, d’un rite de passage en quelque sorte. L’aventure véritable est inconfortable avant d’être autre chose. Elle est difficile, elle fait mal, elle épuise. Mais elle permet aussi qu’un sommet de 6000 mètres soit le moins haut moment d’une équipée.

En savoir plus sur le voyage au Dhaulagiri >>

Pascal

2 Comments

  • Etienne Beaumont

    Ce récit m’a donné des frissons dans tout le corps. De bien beaux frissons de nostalgie en fait. Il y a plusieurs années de ça, j’ai eu l’immense chance de faire partie de cette glorieuse équipée. Ce moment restera dans mes pensées toute ma vie durant comme si, dans ces montagnes, j’avais vécu la plus belle transformation qui soit. La plus profonde, la plus intérieure. Un moment rare où l’on caresse la vie avec une certaine certitude au ventre, celle d’avoir fait le bon choix. Celle de s’être rendu dans l’Himalaya dans une aventure inoubliable. J’ai bourlingué depuis, mais je me souviendrai toujours du jeune homme plein de rêve qui marchait dans cette tempête après avoir gravi le Thapa Peak. C’est dans ces moments très spéciaux que l’on peut se féliciter d’être allé au bout de soi et de s’être embarqué dans pareille aventure.

    04/04/2011 at 18:44
  • alain drapeau

    Ilest 23h00 le 15 oct 2012 et je vient juste d’apprendre la mauvaise nouvelle concernant pascal..ouff je suis assommer et très ébranler ..je lui écrivait et il me répondait et depuis plus d’un ans plus de nouvelle..je me disait qu’il n’avait surement pas le temps..mais jamais j’aurait imaginer ce triste évènement..moi je l’ai connue l’ors d’un voyage au Népal en 2008 c’est le meilleur être humain que j’ai jamais rencontrer sa joie de vivre était contagieuse jamais je ne t’oublierai mon chum tes dans mon coeur pour la vie..PS..Si tu croise mes parents dit leur bonjours car je vient de les perdes aussi..bon courage a sa blonde ISABELLE il nous parlais tellement de toi..ONT SE REVOIE LA HAUT MON AMI..JE T’AIME

    15/10/2012 at 22:55

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